Bevila Sarda*
Avril 2015 : alors que certains s’apprêtaient à fêter leur 30ème année de grimpe sur les falaises sardes, la « citadine » timide et réservée que j’étais effleurait pour la première fois du bout des doigts un mur d’escalade, guidée par l’irrésistible besoin de fuir son quotidien. Qui aurait pu présager, moi la première, qu’un an jour pour jour après cette prise de contact somme toute assez classique, la meute de regard’isard retournerait en Sardaigne pour de nouvelles échappées verticales avec, dans ses bagages, une novice de la grimpe…
2 Avril 2016 : l’avion nous dépose à Olbia, dans le nord de l’île, où nous récupérons un camion de location à l’intérieur duquel nous découvrons des traces de vomi. Ça commence bien ! Personne ne parle italien mais, pragmatique, Moustik se figure qu’en rajoutant un « o » à la fin de chaque mot, il doit pouvoir se faire comprendre : bonjiourno pour « bonjour », tchao pour « au revoir », vomito pour « vomi », enculado pour… Le ton est donné.
Direction ensuite Cala Gonone, dans la province de Nuoro (tiens, encore un « o », pas de doute, c’est l’Italie) où nous prenons nos quartiers dans une luxueuse et coquette villa orangée (je confirme les propos du compte rendu de 2015 : les vieux briscards himalayens s’embourgeoisent indéniablement et les soi-disant expéditions où l’on dort des semaines durant parmi les cailloux ne sont à mon avis qu’une légende). C’est le lendemain, au pied des dalles couchées de Margheddie et sous un soleil de plomb, que débute réellement le séjour. La main posée sur la paroi brûlante et le regard tourné vers le sommet, je découvre avec appréhension et admiration la matière qu’il va falloir apprivoiser. Sous le regard bienveillant de mes mentors et leurs innombrables « ça va toi ? », je m’encorde et réalise avec application mes premières gammes sur ce crépi hyper abrasif parfois aussi tranchant qu’une lame de rasoir. A l’image de la jolie publicité Bevila Sarda* vantant l’eau minérale locale, je bois littéralement ce calcaire exceptionnel où les gouttes d’eau correspondent en réalité à de petites prises résultant d’un long et curieux processus d’érosion de l’eau sur la roche. Fatalement, certaines de mes expressions amusent mes compagnons. Il faut reconnaître que, sorties de leur contexte, certaines peuvent paraître tendancieuses : j’ai mal aux plantes (ndlr, de pieds !), c’est bon tu me prends ? Oui, quand tu veux (!?), cette 5c m’a déclenchée les coquelicots (comprenne qui pourra…) ou encore la désormais célèbre j’ai pété la rondelle (de mon mousqueton à vis, bande de fripons !).
Les jours se succèdent et ne se ressemblent pas, chacun d’eux s’apparentant à un voyage dans le voyage. L’escalade en reste toutefois le fil conducteur, des trèèès magnifiques couennes situées au dessus de la plage de galets noir et blanc de Cala Fuili, en passant par celles de l’imposant amphithéâtre de La Poltrona ou du plus intimiste Budinetto où je passerai mon premier 6a. Fruit du hasard ou non, mon coup de cœur est néanmoins allé à la très esthétique « Geco in Calore », une superbe voie en 5c en apparence lisse que je me régalerai à répéter plusieurs fois. Bref, qu’il soit grimpeur débutant ou confirmé, en quête de performance ou simplement de plaisir, chacun de nous trouvera ce qu’il était venu chercher.
Et pour certains, peut-être même un peu plus… Laurie M
* Boire la Sardaigne.